Aider les villes dans l’installation de feux et balises sonores pour améliorer la sécurité et la mobilité des personnes déficientes visuelles, c’est l’objectif du nouveau manuel publié par le CEREMA. Si vous ne connaissez pas le CEREMA, sachez que c’est un organisme ressource très important pour les collectivités publiques. Il regroupe une multitude d’experts qui travaillent sur toutes les questions relatives à l’aménagement du territoire, et entre autres, sur l’accessibilité. Les documents publiés par le CEREMA font souvent référence auprès des décideurs qui sont amenés à faire des choix sur l’aménagement de nos villes. Alors quand le CEREMA publie un manuel sur les dispositifs sonores pour les personnes aveugles ou malvoyantes, impossible de passer à côté !
Ce manuel est en réalité la synthèse d’un atelier de mai 2023 qui réunissait des référents en accessibilité issus de différentes villes de France. Il s’agit d’un recueil de leurs expertises et expériences concernant l’implantation de dispositifs sonores. Il comporte de nombreux conseils utiles aux techniciens et aux responsables de l’aménagement urbain. Toutefois, j’ai noté avec un brin de regret que les voix des usagers déficients visuels n’y sont pas autant mises en avant qu’elles le mériteraient. Certaines informations m’ont vraiment interpellée, et je suis impatiente de connaître votre avis sur le sujet. Je vous invite à partager vos expériences et réflexions en commentaire.
Un guide pratique sur les dispositifs sonores
Depuis 2014, le CEREMA met en réseau les agents des collectivités publiques chargés de l’accessibilité aux personnes handicapées ou de l’inclusion dans le cadre du groupe technique des Référents accessibilité des villes inclusives, qui répond à la joyeuse abréviation de « GT RAVI ». Ce réseau a pour objectif de capitaliser sur les expériences des différentes villes et d’échanger les bonnes pratiques lors d’ateliers thématiques.
C’est lors d’un de ces ateliers qui portait sur la signalétique sonore en mai 2023 que le manuel « Réussir son déploiement de dispositifs sonores dans les espaces publics » a été réalisé. Il vise à guider les collectivités dans l’implantation de feux et balises sonores pour améliorer l’accessibilité des personnes aveugles et malvoyantes dans les espaces publics. Le manuel couvre les raisons de déployer ces dispositifs, les défis réglementaires et techniques rencontrés, et les conditions de réussite, incluant la concertation avec les usagers et la sensibilisation du personnel. Il présente également un rappel de la réglementation existante, des retours d’expériences de différentes collectivités, et souligne les points de vigilance à considérer pour maximiser l’efficacité des dispositifs sonores. Seul petit bémol, et non des moindres, le point de vue des usagers déficients visuels est quasiment absent. Il aurait été intéressant de l’intégrer pour donner au guide une portée beaucoup plus inclusive.
10 raisons de déployer des dispositifs sonores dans l’espace urbain
Le manuel du GT RAVI s’ouvre sur une série de raisons convaincantes pour intégrer des dispositifs sonores dans nos villes, et il est difficile de ne pas être d’accord avec cette approche. Le guide détaille dix arguments clés, qui vont bien au-delà de la simple installation de dispositifs sonores, mais touchent à l’essence même des politiques d’accessibilité :
- Rendre les espaces publics plus accessibles aux personnes aveugles ou malvoyantes,
- Renforcer la sécurité de ces mêmes personnes,
- Accroître l’attractivité de nos villes, favorisant ainsi un tourisme accessible,
- Améliorer le confort de tous les piétons,
- Simplifier l’orientation et faciliter la découverte des points d’intérêt,
- Diminuer les coûts sociaux et économiques liés aux accidents de circulation et à l’assistance nécessaire,
- Stimuler la participation économique des personnes ayant une déficience visuelle,
- Rendre les transports publics plus faciles à utiliser,
- Lutter contre l’isolement social,
- Créer des espaces publics plus chaleureux et conviviaux.
Vous serez probablement d’accord avec moi, toutes ces bonnes raisons ne s’appliquent pas uniquement à l’implantation de dispositifs sonores mais bien aux politiques d’accessibilité en général. Cela dit, vous savez comme moi que les dispositifs sonores sont essentiels pour notre autonomie de déplacement.
Des difficultés à la fois pour les collectivités et les utilisateurs
Le manuel du GT RAVI aborde ensuite les obstacles rencontrés par les collectivités dans l’installation et l’entretien des dispositifs sonores, tout en mettant en lumière les défis pour les utilisateurs. Bien que la réglementation soit stricte, de nombreuses villes peinent à mettre en place et à maintenir ces dispositifs sonores. On observe d’importantes disparités entre les villes quant à l’implantation de feux sonores.
Par ailleurs, un nombre significatif de personnes aveugles ou malvoyantes ne sont pas encore informées de l’existence des feux et balises sonores, ni de la télécommande nécessaire pour les activer. Ces dispositifs sont pourtant essentiels, car ils offrent des repères vitaux pour les personnes avec une déficience visuelle, indiquant le moment idéal pour traverser en toute sécurité.
L’avènement des nouvelles technologies présente des avantages indéniables mais aussi des défis, surtout pour les utilisateurs moins familiarisés avec le numérique. Il est important de noter que l’installation de dispositifs sonores complète efficacement l’aménagement urbain, sans pour autant pallier toutes les lacunes existantes.
Enfin, l’évolution des villes, comme la suppression des carrefours à feux, l’aménagement de zones de rencontre ou piétonnes, l’apparition de véhicules silencieux, le développement de zones de circulation très intense entraînent de nouvelles difficultés pour les personnes déficientes visuelles.
3 facteurs de réussite identifiés
Le document qui, je le rappelle, fait la synthèse des retours d’expérience des référents accessibilité dans les collectivités identifie trois facteurs clés de succès.
Le premier, c’est la concertation avec les personnes aveugles ou malvoyantes utilisatrices des dispositifs sonores. Personnellement, j’ai souvent eu l’occasion de constater que les villes qui avancent bien sur le sujet de l’accessibilité sont les villes où il existe un dialogue efficace entre décideurs, techniciens et usagers. Ces discussions permettent à chacun de saisir les enjeux de l’autre et de collaborer pour concevoir des solutions innovantes et adaptées.
Le deuxième pilier de la réussite réside dans la sensibilisation et la formation des agents. La formation ne doit pas se limiter à l’aspect technique des solutions d’accessibilité, mais doit également couvrir les besoins spécifiques des personnes déficientes visuelles, afin de garantir une approche plus humaine et inclusive.
Enfin, le troisième facteur de réussite est la veille réglementaire et technologique. En effet, en matière de signalétique sonore comme dans tout autre domaine, les choses évoluent vite.
La distribution des télécommandes et la production des message audio
Le manuel du CEREMA comprend une partie sur la manière dont les télécommandes de déclenchement sont distribuées aux usagers déficients visuels dans les différentes collectivités participantes : Lyon, Lille, Paris, Toulouse et Dunkerque. Chacune de ces villes offre ces télécommandes gratuitement, certaines demandant la signature d’une charte ou d’une convention en échange. À Paris, le lieu de distribution est encore en discussion, tandis que dans les autres villes, ces télécommandes sont accessibles dans les mairies des communes, des quartiers ou des arrondissements.
Cette partie du manuel aborde aussi la possibilité d’activer d’autres équipements avec ces télécommandes, au-delà des feux sonores, comme les balises sonores dans les établissements publics ou les bornes d’information voyageur. Elle fournit par ailleurs des informations sur l’entité responsable de la création des messages audio.
Cependant, certaines informations du manuel semblent ne pas être totalement à jour. Par exemple, la colonne dédiée au fournisseur des télécommandes contient un point d’interrogation et mentionne deux noms d’entreprises qui ont évolué ou n’existent plus : EO GUIDAGE, devenue Okeenea depuis 2015, et ESIUM, qui a cessé ses activités en 2016.
Toulouse teste une application de reconnaissance optique pour les feux
Je vous le dis franchement, cette section sur le retour d’expérience de la ville de Toulouse m’a vivement interpellée. En effet, Toulouse aurait trouvé une méthode révolutionnaire pour améliorer l’accessibilité sans coûts supplémentaires : pas besoin d’infrastructures spécifiques, pas de nuisances sonores, pas d’entretien, avec en prime une accessibilité totale à tous les feux sonores et une amélioration de l’orientation pour les usagers. Les usagers justement, le document n’en parle pas beaucoup. L’application Ayes fonctionne uniquement sur iPhone avec la reconnaissance optique et l’intelligence artificielle.
Permettez-moi d’être sceptique. Si vous me lisez régulièrement, vous connaissez mon attrait pour les nouvelles technologies et toutes les possibilités que nous offrent nos smartphones. Je fais partie des personnes qui utilisent volontiers leur smartphone en mobilité quand j’en retire des bénéfices. Mais là, je m’interroge. Comment pourrais-je localiser les traversées piétonnes avec précision si je ne peux pas m’aider de la provenance du son émis par les feux ? Comment pourrais-je être sûre que le feu que je vise avec la caméra de mon smartphone correspond bien à la traversée que je veux emprunter, en particulier dans des carrefours complexes ? Et surtout, aurais-je envie de sortir mon téléphone à chaque fois que je veux traverser une rue, passer du temps à scanner mon environnement et me mettre en danger en me concentrant sur une vibration ou un signal sonore alors que tous mes sens sont déjà en éveil pour analyser la circulation et mon environnement ? Alors quand je pense à la grande majorité des personnes déficientes visuelles qui, pour un tas de raisons, n’ont pas de smartphone ou ne l’utilisent pas dans leurs déplacements, je m’inquiète. J’ai peur que les villes soient tentées de se dédouaner de leur obligation d’équipement en feux sonores pour se reposer sur des solutions individuelles qui ne répondent pas aux besoins des usagers concernés.
Si vous avez déjà expérimenté l’application Ayes ou OKO, je serais très intéressée par vos retours en commentaires. Et si jamais vous participez à des discussions sur le sujet, n’oubliez pas l’intérêt général et veillez à défendre les besoins de tous, en particulier des plus éloignés de la technologie.
Paris teste les « potelets radars »
La ville de Paris a mené trois expérimentations avec les « potelets radars » sonores d’Audiospot pour améliorer l’accessibilité aux personnes déficientes visuelles et la sécurité des enfants ainsi que des piétons distraits ou utilisant leur smartphone. Ces potelets, installés de chaque côté des passages piétons, émettent un message sonore lorsqu’ils détectent un véhicule en approche. Ils peuvent être activés de trois manières : via une télécommande universelle, un bouton poussoir, ou une application mobile qui détecte les traversées équipées. Environ 60 personnes ont testé ces potelets dans trois lieux différents, chacun avec une configuration spécifique.
L’idée semble intéressante sur le papier mais nous n’avons pas le bilan des expérimentations. N’y ayant pas participé, je ne peux pas donner d’avis. Mais si c’est votre cas, là encore, sentez-vous libres de vous exprimer, les commentaires sont là pour ça.
Quelques points de vigilance pour un déploiement de dispositifs sonores réussi
Le manuel se clôt sur une liste de recommandations clés pour une mise en place efficace des dispositifs sonores dans les villes. Bien que certains aspects pourraient gagner en clarté, la majorité des conseils fournis sont pertinents.
Il préconise d’une part d’établir une stratégie de déploiement pour éviter la surcharge de signaux sonores en un même lieu ou des signaux sonores contradictoires, mais aussi d’établir des critères précis pour prioriser et apporter de la cohérence dans les installations. Les évaluations et la concertation avec les usagers sont vivement recommandées.
Le document appuie par ailleurs dans le sens de l’application de la norme. Pour rappel, la norme NF S32-002 qui concerne les dispositifs répétiteurs de feux sonores a été révisée dernièrement. Les avancées qu’elle comporte, comme les couloirs sonores, la synchronisation des modules d’une même traversée et bien sûr, le nom de la rue sur la phase « rouge piéton » sont des éléments qui améliorent très nettement la sécurité et la qualité d’usage.
Un autre point de vigilance concerne le circuit de distribution des télécommandes. Il est en effet primordial de définir une procédure claire et surtout de communiquer largement dessus pour que tous les usagers qui en ont besoin aient l’information. J’ai des contacts quasi quotidiens avec des personnes déficientes visuelles qui ne savent pas où se la procurer, voire qui ne savent même pas qu’elle existe. Nous avons pris la décision chez Okeenea de distribuer gratuitement des télécommandes aux personnes qui en ont besoin mais ce serait logique que les pouvoirs publics s’emparent de ce sujet. Il s’agit en effet d’une question d’égalité d’accès aux infrastructures publiques.
Enfin, la programmation des dispositifs sonores, incluant le paramétrage du volume et de l’asservissement au bruit ambiant, la distance de détection, le contenu des messages, mais aussi leur maintenance sont des éléments clés pour un déploiement efficace et durable.
Le document mentionne également un risque de conflits d’usage, entre piétons et cyclistes, mais aussi dans les zones apaisées où les véhicules sont silencieux. J’avoue que je ne comprends pas bien en quoi les dispositifs sonores pourraient créer des conflits d’usage, c’est pourquoi ce point mériterait à mon avis d’être précisé. Par ailleurs, il est évoqué un encadrement nécessaire des balises sonores sur les ERP privés pour éviter notamment les messages à caractère publicitaire. Je reconnais volontiers qu’il serait bien d’harmoniser les pratiques en matière de conception des messages audio. De là à décourager les enseignes privées qui veulent se rendre accessibles de s’équiper de balises sonores, je trouverais ça vraiment regrettable et potentiellement discriminatoire.
En résumé, ce manuel « Réussir son déploiement de dispositifs sonores » contient de nombreux conseils pour les agents des collectivités publiques qui n’ont pas encore beaucoup d’expérience sur le sujet. Il met également en évidence des aspects essentiels, causes de difficultés récurrentes pour les usagers déficients visuels. C’est le cas de la maintenance, du paramétrage des volumes sonores, du contenu des messages audio, mais aussi de la distribution des télécommandes. Je reste convaincue que l’élément le plus important reste la concertation et l’implication d’experts, ainsi que des usagers concernés dans toutes les décisions stratégiques relatives au déploiement de dispositifs aussi pointus. Racontez-moi dans les commentaires comment ça se passe dans votre ville : ce qui fonctionne bien, ce qui devrait être amélioré, ce qui mériterait d’être diffusé dans d’autres villes, en somme, partageons nos bonnes pratiques.
Cliquez ici pour télécharger le guide sur le site du CEREMA.
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