Voilà bien longtemps que j’ai quitté les bancs de l’université. Au cours de mes études, j’en ai fréquenté quatre, trois en France et une en Allemagne. Dans aucune d’entre elle, il ne m’a été possible de me déplacer en autonomie. Je dépendais alors des autres étudiants, voire du personnel pour me rendre d’une salle à une autre, en particulier lorsque j’avais cours dans une nouvelle salle. Près de vingt ans plus tard, je n’ai pas le sentiment que la situation soit bien meilleure pour les étudiants aveugles ou malvoyants.
À la rentrée 2022, 59 000 étudiants en situation de handicap étaient recensés dans les établissements d’enseignement supérieur en France, soit 2 % des effectifs étudiants. Cette population a été multipliée par 7,7 depuis 2003, une belle avancée, mais l’accessibilité des universités est encore loin d’être totalement satisfaisante. Quand on parle d’accessibilité dans un établissement d’enseignement supérieur, cela englobe l’accompagnement pédagogique, la mise à disposition de moyens humains et matériels, mais aussi et surtout l’accessibilité physique des campus, des bâtiments et de toutes les infrastructures. C’est ce que nous allons aborder ici, tout en mettant l’accent sur les besoins spécifiques des personnes déficientes visuelles.
Des besoins de repérage et d’orientation
Les années universitaires représentent généralement une période de transition vers l’âge adulte. Pour les étudiants ayant un handicap, accéder aux cours est bien sûr essentiel, mais l’université ne se limite pas à cette fonction. La vie étudiante implique aussi l’accès aux bibliothèques, aux associations étudiantes, aux activités sportives, culturelles, humanitaires, ainsi qu’aux lieux de restauration et d’hébergement. En cas de handicap visuel, le principal défi est de se repérer et de s’orienter dans ces espaces d’une grande complexité : identifier les principaux cheminements, avoir une représentation globale du campus, retrouver les différents services et salles de cours, utiliser les équipements et dispositifs de contrôle d’accès.
Les aménagements nécessaires pour une université inclusive
Les étudiants déficients visuels ne sont évidemment pas les seuls à se perdre dans les universités. Chaque année, les nouveaux arrivants mettent beaucoup de temps à s’approprier les lieux. Il faut aussi avoir à l’esprit que près de 14% des étudiants de l’enseignement supérieur en France viennent d’autres pays, avec des langues, des cultures et des habitudes différentes.
Pour faciliter le repérage et l’orientation de tous, les universités doivent aborder la question de manière globale. Il est essentiel que chaque établissement élabore une stratégie de signalétique inclusive, tenant compte de la diversité des besoins et des usages. Je parle en priorité des étudiants, mais n’oublions pas que l’accessibilité concerne aussi les enseignants, le personnel administratif, le personnel d’entretien et tous les visiteurs ou prestataires externes qui se rendent dans l’établissement de manière occasionnelle. Cette stratégie s’appuie sur la continuité de la chaîne du déplacement, à laquelle correspond une chaîne d’information.
Pour qu’une université devienne réellement accessible à tous, certains aménagements sont indispensables. Voici quelques exemples de dispositifs à mettre en place :
- Ascenseurs, rampes d’accès, portes automatiques pour permettre une mobilité fluide quelles que soient les capacités motrices de chaque personne ;
- Sécurisation des escaliers avec des bandes podotactiles, des nez de marches et contremarches contrastés, des mains courantes pour minimiser le risque de chute et améliorer leur visibilité ;
- Bandes de guidage au sol pour repérer les principaux cheminements et faciliter les déplacements des personnes aveugles ou malvoyantes ou des personnes ayant des difficultés d’orientation ;
- Balises sonores à l’entrée des bâtiments et des amphis pour orienter les étudiants déficients visuels ;
- Signalétique visuelle contrastée, en gros caractères et avec des pictogrammes clairs ;
- Plaques de portes en braille et en relief pour identifier facilement les salles de cours et différents services ;
- Boucles à induction magnétique dans les amphis pour améliorer l’audition des cours par les étudiants malentendants appareillés ;
- Toilettes accessibles adaptées aux besoins des personnes en situation de handicap…
Ces aménagements permettent aux étudiants ayant un handicap de mieux s’orienter et d’avoir accès à l’ensemble des services et lieux nécessaires à une vie universitaire épanouie. Mais la liste n’est pas exhaustive. Pour une accessibilité réussie, il faut veiller à ce que chaque étape nécessaire à l’usage des locaux soit réalisable par une personne, quelles que soient ses capacités. Le diable est dans les détails.
Une application de guidage pour une meilleure autonomie
Aussi efficace que puisse être la signalétique, elle ne peut à elle seule répondre à tous les besoins de mobilité. Elle n’est pas toujours intuitive, notamment pour les étudiants étrangers. Pour les personnes non-voyantes, même si les bandes de guidage, la signalétique braille et les balises sonores permettent de gagner en autonomie, elles ne sont pas suffisantes pour couvrir tous les besoins d’orientation.
Pour pallier ces limites, des solutions innovantes comme l’application mobile Evelity ont vu le jour. Déjà installée à la faculté de médecine Rockefeller à Lyon 1 et à l’université Jean Moulin Lyon 3, Evelity permet aux étudiants déficients visuels de se repérer de manière autonome dans les bâtiments universitaires. Grâce à une interface intuitive et à des indications multisensorielles, elle facilite la localisation des salles de cours, des services administratifs, des points de restauration, et bien plus encore. C’est une solution concrète pour permettre à tous les étudiants, quel que soit leur handicap, de naviguer en toute autonomie sur le campus.
La force de cette application, c’est d’avoir été conçue sur la base des besoins des personnes déficientes visuelles avec une précision bien supérieure à un GPS classique, une interface contrastée et compatible VoiceOver et TalkBack, ainsi que des instructions vocales. Evelity signale les infrastructures d’accessibilité comme les bandes de guidage quand elles existent. Mais la solution touche un public bien plus large. La preuve, l’Université Lyon 3 qui communique sur la présence d’Evelity pour s’orienter dans ses locaux à chaque rentrée universitaires enregistre des milliers d’utilisations, en particulier pendant les premières semaines de cours où les étudiants ont besoin de prendre leurs repères.
Les plans tactiles : une représentation mentale essentielle
En complément des équipements d’accessibilité physique et des applications de guidage comme Evelity, les plans tactiles offrent un support précieux. Ils permettent aux étudiants déficients visuels de se représenter mentalement l’implantation des bâtiments et des services. Cette représentation globale est essentielle pour qu’ils puissent se déplacer sereinement et anticiper leurs trajets.
Plusieurs types de plans tactiles peuvent cohabiter. D’une part, il est souhaitable d’avoir un grand plan, voire une maquette, à proximité de l’entrée principale de l’université. Ce plan peut être complété par des indications en braille et des informations sonores audibles en appuyant sur un bouton. Un QR code présent sur le plan peut aussi renvoyer à des informations en ligne qui peuvent alors facilement être mises à jour. Pour être repérable par tous, le QR code doit comporter un cadre en relief avec l’indication QR code en braille.
Mais des plans tactiles sur papier peuvent aussi être très utiles. Les étudiants peuvent alors les emprunter et les consulter dans le calme pour apprendre la disposition des bâtiments et l’organisation du campus. Ainsi, ils peuvent anticiper plus facilement leurs trajets.
Les Services d’Accueil et d’Accompagnement
Jusqu’ici, j’ai évoqué les dispositifs visant à favoriser les déplacements autonomes des étudiants ayant un handicap visuel sur un campus universitaire. Mais vous le savez aussi bien que moi, la finalité de tout ça, c’est avant tout d’avoir accès à l’enseignement. Les universités disposent également de services spécifiques pour accompagner les étudiants en situation de handicap : les relais handicap, pôles handicap ou encore les missions handicap. Ces services proposent une aide précieuse pour l’aménagement des examens, la mise en place de supports pédagogiques adaptés (documents en braille, format audio, etc.), ainsi qu’un accompagnement humain pour faciliter l’intégration des étudiants dans la vie universitaire. Un point d’ancrage essentiel pour que chaque étudiant puisse bénéficier d’un parcours universitaire adapté à ses besoins, mais aussi profiter de toutes les opportunités à sa portée pour créer des liens et vivre ses centres d’intérêt.
En résumé, les universités progressent, mais il reste beaucoup à faire pour qu’elles soient réellement inclusives pour les étudiants déficients visuels. Toutes les parties prenantes, qu’il s’agisse des étudiants, des enseignants, ou du personnel administratif, ont un rôle à jouer pour encourager et promouvoir l’accessibilité. Il est important que nous continuions à nous mobiliser, à sensibiliser et à exiger les aménagements nécessaires pour que chaque campus soit un lieu où chacun peut étudier, s’épanouir et construire son avenir dans les meilleures conditions.
2 Comments
Article très complet parce que l’accessibilité de l’université est prise dans sa globalité, bravo
Merci Lise,
Je pense que c’est un article qui peut largement servir pour amorcer un grand projet de réflexion autour de la thématique concernée.
Ici, dans le Nord, on est très loin d’une accessibilité ne serait-ce que suffisante en milieu universitaire.
Il faut dire que si tout est mis en place, ça donnerait presque envie de reprendre des cours du soir à la fac.