Que diriez-vous d’une ville où les piétons pourraient circuler librement tandis que les conducteurs devraient s’arrêter pour leur céder le passage ? Depuis le début des années 2000, les politiques publiques tendent à donner plus de place aux piétons dans les centres-villes. Il n’est plus question de continuer à encourager la suprématie automobile, comme c’était le cas au 20e siècle. Cette manière de concevoir la ville a donné naissance à de nouveaux concepts, dont le trottoir traversant fait partie. Au lieu que les piétons descendent du trottoir pour traverser la rue, ce sont les conducteurs qui doivent attendre pour pouvoir franchir le trottoir.
C’est une sécurité en apparence. Mais qu’en pensent les piétons aveugles ou malvoyants ? Quels nouveaux défis présentent ces aménagements ? Comment faire en sorte qu’ils soient confortables pour tous les piétons sans exception ?
Quelle différence entre trottoir traversant et traversée surélevée ?
Vous pensez que c’est la même chose ? J’avais aussi du mal à différencier les deux avant de me lancer dans la rédaction de cet article. Et pourtant, il existe des différences.
Dans le cas d’une traversée surélevée, aussi appelée plateau, la chaussée est surélevée au niveau du trottoir. Cette différence de niveau incite les conducteurs à ralentir. Le passage piéton conserve les mêmes caractéristiques qu’un passage piéton classique. Il est marqué par des bandes blanches sur une largeur de 4m et équipé de bandes d’éveil de vigilance (BEV) à chaque extrémité. Les traversées surélevées sont généralement utilisées pour ralentir la circulation des véhicules sur des axes très fréquentés et faciliter le passage des piétons à proximité de points d’intérêt comme une station de transports en commun ou une rue piétonne.
Le trottoir traversant s’inscrit quant à lui dans la continuité du trottoir. Il conserve les mêmes caractéristiques visuelles que le trottoir et doit être contrasté avec la chaussée. Il est dépourvu de marquage pour piéton et de bandes d’éveil de vigilance. Des rampes sont aménagées de part et d’autre du trottoir traversant afin de permettre son franchissement par les véhicules en l’absence de piétons. Les trottoirs traversants sont généralement aménagés le long d’un axe principal pour permettre la libre circulation des piétons qui n’ont plus à se soucier de la circulation provenant des axes secondaires. Cet aménagement est préconisé lorsque la rue débouchant sur le trottoir traversant est faiblement circulée.
Un décret pour encadrer l’utilisation du trottoir traversant
Le décret n° 2010-1390 du 12 novembre 2010 a apporté des modifications au code de la route pour encadrer la notion de trottoir traversant.
Il précise que le conducteur d’un véhicule circulant sur une chaussée peut franchir un trottoir pour rejoindre une autre chaussée s’il existe un aménagement prévu à cet effet. Le véhicule va alors traverser un espace dédié aux piétons. Il doit leur céder le passage, rouler à la vitesse du pas et prendre toutes les précautions pour ne pas constituer un danger pour les piétons.
Avant ce décret, le seul cas où les véhicules avaient le droit de rouler sur un trottoir, c’était pour rejoindre la chaussée depuis une entrée de résidence ou de parking. Ce cas est bien sûr toujours d’actualité, avec les mêmes précautions d’usage.
De nouvelles difficultés pour les piétons aveugles ou malvoyants
Sur le papier, le trottoir traversant favorise la circulation des piétons en toute sécurité. Il est vrai que pouvoir cheminer librement sans se soucier des véhicules provenant des rues perpendiculaires devrait s’avérer très confortable. Mais nous sommes nombreux, en tant que piétons déficients visuels, à compter les intersections pour nous repérer. En présence d’un trottoir traversant, il est très difficile de savoir si on doit associer la rupture du bâti à un croisement de rues ou tout simplement à une sortie de résidence, un parking ou une cour. La continuité du trottoir traversant nous prive alors de précieux repères.
Par ailleurs, même si les conducteurs sont censés céder le passage aux piétons, nous savons tous qu’ils ne sont pas toujours respectueux des règles. Et si rien ne nous indique la présence d’une intersection, rien ne nous incite à la vigilance. Même les chiens guides sont perturbés par cet aménagement puisque rien ne leur permet de savoir qu’il faut marquer l’arrêt ou même tout simplement ralentir l’allure.
Quelles solutions pour améliorer le trottoir traversant ?
À la suite de l’aménagement de trottoirs traversants le long d’une rue très passante du centre-ville, la Communauté Urbaine de Dunkerque Grand Littoral a reçu de nombreuses plaintes de personnes déficientes visuelles privées de leurs repères. En réponse à ce problème, elle a expérimenté l’implantation de bandes d’éveil de vigilance contrastées tactilement mais pas visuellement, ceci afin de ne pas prendre le risque de signifier aux conducteurs une éventuelle priorité sur les piétons.
Or, la norme NF P98-351 sur les bandes d’éveil de vigilance précise bien que ce dispositif doit présenter un contraste tactile ET visuel. Le contraste visuel est même défini à 70% avec le sol adjacent. Cette même norme prévoit que la BEV puisse être implantée « au droit de traversées de chaussées relevées sans dénivellation détectable, avec ou sans matérialisation du passage pour piéton », ce qui est le cas des trottoirs traversants. Par ailleurs, créer des codes différents avec des BEV contrastées visuellement et d’autres qui ne le seraient pas risqueraient de créer des confusions. Et comment les techniciens non spécialistes pourraient s’y retrouver dans tous ces cas particuliers ?
Dans son guide Recommandations issues de la préparation des Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris 2024, le CEREMA insiste sur l’importance de signaler la zone de passage de véhicules pour les piétons, notamment les personnes aveugles ou malvoyantes. Il préconise l’aménagement de trottoirs traversants avec des repères tactiles et visuels, en jouant sur les contrastes de revêtements. Le guide évoque même la pose de potelets délimitant le passage des véhicules. Je ne suis personnellement pas favorable à cette dernière suggestion qui amène de nouveaux obstacles et ne permet en aucun cas à une personne non-voyante de repérer la délimitation.
En revanche, la pose de balises sonores me semble être une excellente solution en complément du contraste de revêtement. La balise sonore présente le double avantage de fournir un repère aux personnes déficientes visuelles sans suggérer la priorité aux conducteurs qui ne la voient pas. De plus, cette balise peut indiquer le nom de l’intersection, ce qui améliore encore le repérage et l’orientation.
En conclusion, l’aménagement de trottoirs traversant est encore trop récent pour pouvoir en tirer des bonnes pratiques à décliner sur l’ensemble des aménagements. Mais il existe déjà des pistes très claires pour savoir ce qu’il faut faire ou ne pas faire.
Et vous, avez-vous l’expérience des trottoirs traversants ? D’autres suggestions sur leur aménagement ? N’hésitez pas à vous exprimer dans les commentaires pour que nous puissions échanger nos points de vue !
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